Chiara Corazza : « la mixité est une question de justice, d’équité, mais aussi de performance économique »

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Le concept d’inclusion vise à donner à chacune et à chacun, quels que soient son genre et ses différences, la place qui lui permettra de s’épanouir. Les sociétés et leurs collaborateurs ont tout à y gagner. Rencontre avec Chiara Corazza, déléguée spéciale du Women’s Forum for the Economy and Society, la principale plateforme mondiale visant à promouvoir la voix et la vision des femmes lors des sommets internationaux G7 et G20.

Par Léa Masseguin

En quoi la féminisation du leadership des entreprises est-elle gage d’une meilleure qualité de vie au travail ?

Il s’agit d’une question de justice, d’équité, mais aussi de performance économique : j’estime que 240 millions d’emplois peuvent être créés d’ici à 2025, et 28 trilliards de dollars ajoutés au PIB mondial si les femmes et les hommes sont représentés à parts égales.

Véritable fil conducteur dans la construction d’un leadership performant, la diversité des approches doit être le levier qui peut assurer le bien-être des équipes grâce à une meilleure compréhension de leurs attentes et de leurs besoins.

Dans cet esprit, les femmes ont nécessairement toute leur place à la tête des entreprises – qu’il s’agisse de grands groupes, de PME ou de start-up – et apportent certainement une valeur ajoutée dans tous les secteurs. Je considère comme indispensable, pour qu’elles accèdent aux postes à haute responsabilité, qu’elles aient les mêmes chances que les hommes et que leurs atouts, leurs compétences et leurs expertises soient reconnus au même titre que celles de leurs homologues masculins.

Existe-t-il des « qualités féminines » observables et quantifiables en entreprise ?

Il est primordial de ne pas tomber dans le travers des stéréotypes attribuant des capacités différentes aux femmes et aux hommes. Le talent n’a pas de genre : il est essentiel de mettre les bonnes personnes à l’endroit où elles sont nécessaires et où elles peuvent faire la différence.

Que pensez-vous de l’instauration des quotas en entreprises ?

En France, les quotas ont été un bien nécessaire. Ils ont permis d’augmenter considérablement la part de femmes au sein des conseils d’administration, faisant passer celle-ci de 11 % en 2009 à 46 % en 2021. Les effets positifs ont été similaires en Italie, où la part des femmes a grimpé de 5 % en 2011 à 36 % en 2020.

Le temps est à présent venu de renforcer chaque étape du leadership des femmes en entreprise. La représentation des femmes aux postes de management doit être assurée selon un principe de « granularité » incluant les postes de direction mais également de sous-direction.

Je compte présenter cette bonne pratique à l’occasion du Women’s Forum G20 Italy, qui se tiendra du 17 au 19 octobre à Milan, autour du grand thème de la « She-Covery » : la relance pour la construction du monde post Covid-19, qui mettra les femmes au cœur de l’économie et de la société.

Nous ferons des propositions concrètes aux leaders du G20 pour parvenir à une égale représentation des hommes et des femmes, pour favoriser une finance éthique et responsable, mais aussi pour concevoir et développer un puissant « pipeline » pour les femmes dans les instances de gouvernance.

Que signifie le « management féminin » ?

Dès leur plus jeune âge, les femmes ont à cœur de poursuivre des carrières leur permettant de contribuer au bien-être collectif. En effet, 72 % des Rising Talents , des personnalités que le Women’s Forum choisit de mettre en lumière, des femmes talentueuses destinées à devenir des leaders de demain, estiment que leurs carrières doivent nécessairement avoir un impact social positif.

Selon notre Baromètre 2020, un management plus inclusif influence positivement l’image des entreprises : 76 % des répondants estiment qu’un meilleur accès des femmes aux postes de direction aurait des effets positifs sur la réputation de l’entreprise. Par ailleurs, je suis certaine que les entreprises les plus paritaires bénéficient d’une meilleure image auprès des investisseurs, ce qui est bénéfique pour la société tout entière.

De plus en plus de femmes font partie des entreprises : qu’est-ce que cela change sur la physionomie de l’entreprise et sur le rapport au travail ?

Il y a urgence à ce que les femmes puissent avoir accès à certains métiers : les Stem (Sciences Technologies Engineering Mathematics) sont au cœur de cette transformation. J’estime qu’il faut privilégier une approche transversale qui concerne tous les secteurs, tous les acteurs (parents, enseignants, entreprises, médias) à tous les niveaux et surtout tout au long de la vie, car tout commence dès le plus jeune âge. Une telle approche permettra de constituer un vivier de jeunes talents, féminins et masculins.

La question de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est encore très genrée… Comment changer la donne ?

Un équilibre durable des temps de vie est la condition sine qua non pour faire en sorte que les femmes construisent des carrières solides, qui puissent durer tout au long de leur vie.

Afin d’attirer et de retenir les talents féminins sur le marché du travail, il convient de favoriser toutes les mesures qui peuvent faciliter la gestion partagée des responsabilités familiales.

J’ai souligné cette nécessité dans le Call to Action que le Women’s Forum a lancé afin de proposer aux leaders du G7 le cadre pour une relance inclusive à la suite de la pandémie. Dans cet esprit, je salue la décision du président français d’allonger le congé paternité jusqu’à vingt-huit jours et d’en rendre obligatoire une partie : il s’agit d’une mesure phare qui va dans la bonne direction et dont les résultats seront très positifs.

De plus, un management davantage féminisé peut mener à un changement global d’organisation du temps de travail en entreprise mais aussi à la création de nouvelles infrastructures, telles que les crèches d’entreprises, qui favorisent un meilleur équilibre des temps de vie pour tous.