De la vision à l’action : quel mécanisme et quels outils ?

12 min de lecture

Avant de prendre la route un matin hivernal, vous dégivrez votre pare-brise afin d’avoir une bonne vision. De même, pour s’épanouir dans la vie ou réussir une action collective, dans un environnement de plus en plus incertain, on a besoin de créer et de partager une vision. Alors qu’est-ce qu’une vision ? Comment cela fonctionne-t-il ? Et quels outils utiliser pour en construire une pour soi, son équipe ou son entreprise ?

Par Thierry Nadisic , professeur à emlyon business school

Une vision a deux composantes. D’abord elle est organisée autour d’une raison d’être. C’est la cause de ce que nous faisons. Elle répond à la question « pourquoi ? ». Elle est composée de valeurs et d’une aspiration. La seconde composante d’une vision est la mission. C’est un ensemble de buts désirables au service de la raison d’être. La mission donne une destination concrète pour au moins les dix années à venir. Partager un plaisir ludique est une vision, concevoir des jeux vidéo est une mission.

 

Nous sommes des êtres qui avons besoin de croire au sens de ce que nous faisons. Dans son livre Sapiens, l’historien Yuval Noah Harari a montré que si Homo sapiens s’est développé alors que l’homme de Néandertal a disparu c’est grâce à cette qualité unique. Alors qu’il suffit de faire référence à une réalité objective pour se coordonner dans un petit groupe – « il y a un lion près de la rivière » – et de savoir partager des réalités subjectives par la rumeur pour faire agir ensemble jusqu’à cent cinquante individus – « méfiez-vous de cet homme car il ne retourne pas les services qu’on lui rend » –, il faut la capacité à croire à des visions intersubjectives pour faire coopérer entre eux plusieurs milliers voire millions de personnes. Ces visions sont des constructions de l’imagination, comme la nation, les droits de l’homme ou le bonheur de ses clients, que seul Homo sapiens est capable d’inventer et de raconter. Elles enclenchent chez chaque personne une motivation intrinsèque forte.

 

C’est pourquoi concrètement une bonne vision est construite avec des mots qui renvoient à des images et parlent aux émotions plutôt qu’à la raison. Une vision doit être vaste, audacieuse et marquante. C’est ce qui va donner la direction, inspirer la passion et l’engagement et, si nous voulons agir collectivement, amener chacun à se coordonner avec les autres. La vision de l’école de management emlyon business school est : « early makers ». Les mots choisis rendent vivantes les notions d’innovation, de pragmatisme et d’acceptation de l’erreur ; le pluriel indique l’action collective, et la langue anglaise montre que le terrain de jeu est mondial.

 

Plusieurs outils permettent de construire une vision et de l’utiliser pour agir.

  • Individuellement, on peut faire appel à la technique dite du « meilleur moi possible »[1]. Celle-ci consiste à écrire vingt minutes par jour, pendant quatre jours, à propos de l’avenir que l’on imagine pour soi, après que tout se sera déroulé aussi bien que possible. On se projette dans la situation où l’on a atteint ses buts de vie les plus importants. Les personnes réalisant cet exercice sont étonnées du résultat : du bien-être, de la confiance et un chemin qui se dessine et inspire des premières actions dès aujourd’hui.
  • Pour une équipe, une technique productive est la « fiche de contribution ». Cela consiste pour chaque membre à réécrire sa fiche de poste d’une façon nouvelle, en utilisant trois colonnes. La première est consacrée aux tâches et aux missions, la seconde aux compétences et aux qualités que ces tâches permettent de pratiquer, et la troisième à la contribution de chaque ensemble mission-compétence à la vision de l’entreprise. Les personnes voient alors plus clairement l’importance de leur action et comment mieux travailler ensemble.
  • Enfin, pour une entreprise, les méthodes dites de visioning ont fait la preuve de leur efficacité et peuvent être mises en place pour que l’ensemble des salariés et des parties prenantes, comme les clients ou des partenaires, participent à la création d’une vision inspirante.

La vision procède d’un mécanisme profond de motivation de l’être humain par le sens qui permet l’engagement et la coordination. Dans un contexte sociétal et économique où nous sommes moins tenus par des règles et des rôles traditionnels, elle devient l’une des démarches les plus fondamentales pour l’action individuelle et collective. Des outils pratiques sont aujourd’hui aisément accessibles pour bien la construire et l’utiliser.

[1] « Le meilleur moi possible » fait partie des 21 techniques décrites dans le livre S’épanouir en temps de crise, que vient de publier l’auteur aux éditions Eyrolles.