Jérôme Nanty : « La motivation de nos salariés est la clé pour créer l’expérience client »

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Savoir motiver ses collaborateurs est un atout fondamental pour la réussite d’une entreprise. D’autant plus précieux dans un univers tel que la grande distribution que la relation client y est centrale. Interview de Jérôme Nanty, directeur des ressources humaines du groupe Carrefour.

Par Anne-Cécile Huprelle

Sur le papier, motiver ses troupes semble facile. Quand celles-ci sont en prise directe avec le client, c’est autre chose…

Ce n’est jamais facile de motiver des équipes. La motivation est par nature très subjective, et nous avons tous des leviers de motivation qui nous sont propres. Personne ne recherche la même chose dans le travail : certains vont être uniquement sensibles à la rémunération quand d’autres vont surtout considérer leur environnement, la reconnaissance de leur manager, le contenu et l’intérêt de leurs missions ou encore la qualité des relations avec les collègues. Par ailleurs, je n’ai pas une vision pessimiste de l’impact de la relation client sur la motivation, au contraire. Dans nos métiers de la distribution, satisfaire le client est notre finalité : le client est au centre de tout, celui autour duquel s’organisent toutes nos opérations. Si les comportements de ces clients à l’égard de nos salariés peuvent varier, les collaborateurs qui sont en contact direct avec eux ont le sentiment de tenir un rôle essentiel dans l’entreprise : c’est valorisant pour eux et facteur de motivation.

Les métiers de la consommation ne se sont pas arrêtés pendant la crise. Avez-vous senti une forme de fatigue chez certains collaborateurs ?

Notre corps social a bien sûr été très sollicité et cela se ressent d’une manière ou d’une autre. Mais la crise a eu un effet positif : alors que notre métier a parfois une image mitigée, nos salariés ont été vus comme essentiels. La mise en évidence de leur importance et la valorisation de leur rôle ont été des moteurs très fort pour tenir durant cette période et ont renforcé le sentiment d’appartenance à l’entreprise. Cette fierté a pu contrebalancer les tensions nées de cette période. Reste à savoir si cela durera.

 

Quels sont les signaux qui peuvent laisser présager d’une dégradation de la motivation ?

Nous suivons des indicateurs comme les démissions, l’absentéisme ou le turnover, dont on sait qu’ils sont liés au désengagement.

L’absentéisme de courte durée est un très gros enjeu pour nous, un combat au jour le jour : quand il est injustifié, il désagrège le collectif, car il perturbe le fonctionnement et reporte la charge sur les autres. Cela va bien au-delà d’une personne qui ne se présente pas un matin sans justification valable : si le sentiment d’une tolérance s’installe, cela peut amener des comportements de désengagement chez tous les collègues.

À l’échelle individuelle, tout repose sur la capacité du management de proximité à identifier des signaux faibles. Repli sur soi, posture de rébellion : tout changement de comportement observable peut être avant-coureur d’un désengagement. Un vrai risque, c’est le désengagement passif : des personnes qui ne montrent rien mais font le minimum. Ce désengagement est difficile à identifier.

 

Quelles sont les clés pour (re)dynamiser les équipes ?

Il n’y a pas qu’un seul levier, et personne n’a la même sensibilité à chaque facteur de motivation. L’idée de donner plus de sens au travail a beaucoup été travaillée à Carrefour. C’est ce qui a donné lieu à l’adoption de notre raison d’être : « Proposer une alimentation de qualité accessible à tous. » Avoir exprimé et communiqué notre ambition de façon claire, avoir formulé notre métier comme le moyen de contribuer à la santé de nos clients par une alimentation de qualité, tout cela a un impact très fort auprès de nos salariés.

La deuxième clé est la qualité du management. Nos managers de proximité sont essentiels dans la dynamique d’équipe, ils créent les conditions dans lesquelles se passe la journée de travail de nos collaborateurs. La qualité managériale détermine l’ambiance de chaque équipe de travail.

 

Parlez-nous de ce programme de montée en compétences à Carrefour, l’« École des leaders », créée pour accélérer davantage la promotion sociale au sein de l’entreprise.

C’est une initiative destinée à dynamiser la promotion interne au sein de l’entreprise. Des collaborateurs sélectionnés reçoivent une formation pratique et théorique avec l’assurance de progresser dans l’entreprise à la fin de ce parcours d’excellence.

L’ascenseur social a toujours existé à Carrefour : 75 % des cadres de nos magasins ont commencé en tant qu’employés. Cette École des leaders permet d’accompagner la promotion de nos collaborateurs en leur offrant une formation pratique et théorique de qualité, menée sur six mois avec Dauphine : l’École des leaders est un tremplin qui a déjà fait ses preuves dans le monde Carrefour, en Espagne ou en Argentine, et qui se généralise dans le groupe.

 

Qu’en est-il des éléments de reconnaissance matérielle ?

Ils ont évidemment leur rôle dans l’engagement des individus, même si je ne les considère pas comme le premier levier de motivation. Nous essayons d’avoir une politique juste et attractive, malgré la pression concurrentielle qui impose d’être toujours attentif à notre compétitivité.

La difficulté de la reconnaissance financière, c’est que nous sommes plus sensibles aux variations qu’au niveau absolu de rémunération. Or, Carrefour a un modèle social parmi les plus généreux de la profession, fruit de soixante années d’histoire. Par exemple, nos salariés sont rémunérés jusqu’à quatorze mois par an. Mais ce modèle ne peut pas progresser toujours plus vite que la concurrence.

Malgré ce niveau de contrainte très fort, nous nous efforçons de créer les conditions d’une juste reconnaissance : l’an dernier, au tout début du premier confinement, alors que les équipes faisaient preuve d’un engagement exceptionnel, nous avons versé une prime de 1 000 euros à l’ensemble des salariés des magasins et entrepôts, sans condition ni prorata. Nous avons été le seul acteur à le faire aussi largement. De même, nous avons des mécanismes d’intéressement et de participation très puissants, qui sont très importants aux yeux de nos collaborateurs.

 

En tant que DRH du groupe Carrefour, qu’est-ce qui vous donne envie de travailler ?

Personne ne recherche la même chose à toutes les étapes de sa carrière. À l’entrée dans la vie professionnelle, vous avez besoin de gagner votre vie pour assurer votre autonomie ; il y a des périodes où l’enjeu de sociabilisation au travail est très important.

Personnellement, ce que j’ai toujours recherché, c’est le mouvement : les contextes les plus difficiles, les expériences professionnelles qui m’ont confronté aux enjeux les plus compliqués, les transformations les plus urgentes ont été, je crois, les périodes les plus heureuses de ma vie professionnelle.

 

Être motivé, c’est aussi comprendre les objectifs de son entreprise, assimiler le contenu des missions confiées. Comment définiriez-vous le discours du groupe Carrefour à ce sujet ?

Avec notre raison d’être, reprise dans notre ambition Act for Food, nous avons rendu notre stratégie d’entreprise claire et lisible pour tous : c’est une condition absolument nécessaire pour embarquer le collectif de travail dans le projet d’entreprise.

En écho, nous avons aussi lancé un plan de transformation culturel et RH, Act for Change, qui porte des engagements forts envers les collaborateurs, comme l’ambition « d’avancer et grandir ensemble », ou « être fiers de transformer notre métier ». Le programme Act for Change associe nos salariés à la transformation, il fait de nos collaborateurs des acteurs du changement. Nous avons, par exemple, parmi eux un réseau d’« ambassadeurs de la transition alimentaire ».

 

Les leviers de motivation des salariés et de fidélisation des clients sont-ils comparables ?

Pas exactement. Si on parle bien de symétrie des attentions, si on a pour ambition de nourrir la loyauté et la fidélité des deux, les attentes sont fondamentalement différentes : les clients attendent de Carrefour de la qualité, des prix, du choix. Nos salariés veulent, eux, des perspectives de carrière, un environnement de travail accueillant et trouver du sens à leurs activités.

Mais les deux se répondent : Act for Change, notre stratégie RH, rend possible Act for Food, notre stratégie d’entreprise. Et la motivation de nos salariés est la clé pour créer l’expérience client qui justifie la fidélité que nous montrent nos clients.