Portrait : Audrey Richard, Présidente de l’ANDRH

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Depuis deux ans, les contours de la fonction RH sont mouvants. Les défis actuels et futurs s’imposant à cette profession sont le quotidien de Audrey Richard, DRH du groupe Up et Présidente nationale de l’ANDRH. Rencontre.

Par Anne-Cécile Huprelle

Vous êtes DRH du groupe Up, coopérative comptant 2951 salariés dans 22 pays. Et, par ailleurs, Présidente de l’ANDRH. Comment articulez-vous votre quotidien autour de ces deux fonctions ?

Le cœur de mon activité professionnelle réside dans mon métier premier. Je suis DRH. J’ai intégré l’Association nationale des DRH comme membre, puis j’ai pris la responsabilité de l’un des 70 groupes locaux. J’ai ensuite intégré le bureau national. Et le Président d’alors, JeanPaul Charlez, Directeur général des Ressources Humaines de Etam, a quitté ses fonctions de DRH, il m’a demandée de faire son intérim à l’ANDRH. Cela s’est très bien passé et avec l’équipe du bureau national nous avons décidé de poursuivre l’aventure. Mes deux casquettes se complètent bien. Ma présidence de l’ANDRH alimente mon job et me permet d’avoir davantage de hauteur de vue. Je me nourris de beaucoup d’exemples d’autres entreprises, de mes rencontres et échanges de bonnes pratiques. Parallèlement, ce que je vis chez Up, au niveau opérationnel, c’est la vraie vie et cela m’anime dans mon travail associatif. L’ANDRH est une association à utilité publique, nous sommes des bénévoles autour d’une équipe de onze salariés. Notre rôle est d’une part d’aider le DRH membre de façon opérationnelle, de lui faciliter la vie quand sort une loi, une notion, une jurisprudence… Il faut donc faciliter le travail des professionnels en décortiquant ces lois, en réalisant des fiches pratiques, de notes et résumés. D’autre part, nous travaillons sur l’évolution de la profession, du métier avec notre écosystème. J’échange beaucoup avec mes collègues des territoires sur l’évolution des RH. Enfin, nous avons beaucoup de relations avec les ministères pour les éclairer sur la mise en pratique des lois sur le terrain, nous faisons remonter les problématiques qui nécessiteraient des adaptations ainsi que les partis pris de l’association issus des enquêtes que nous conduisons. L’ANDRH sert à quelque chose  ? Oui, un exemple  : lors de la période Covid, l’association a œuvré pour défendre l’idée qu’il fallait permettre aux salariés de revenir au moins un jour sur leur lieu de travail afin d’éviter l’isolement et les cas de détresse.

Vous avez pris la présidence de l’Association en pleine révolution des DRH, bouleversement inédit pour ce métier. Stress, appréhension, responsabilité : quel mot pourrait qualifier votre état d’esprit ?

C’est le métier de DRH qui a été bouleversé. Au plus fort de la crise, les DRH ont pris davantage d’importance. Ils ont pris la responsabilité d’organiser des cellules de crise et d’accompagner leur direction dans les évolutions de travail. Les RH ont pris la responsabilité de protéger les salariés de l’entreprise. Il ne faut jamais oublier qu’ils sont au milieu d’un écosystème et leur devoir est de préserver la santé et la sécurité des salariés, tout en conjuguant avec les contraintes économiques, business, sociales… C’est un métier qui n’est pas simple, on peut être au milieu d’informations qui peuvent être contradictoires. Or, il me semble que mes homologues sont heureux de vivre avec ce challenge constant et impliqués dans ces évolutions. Car on est au cœur de l’innovation, de l’invention, du «Nouveau Monde  » du travail. Cela n’a pas changé durant des années et aujourd’hui tout s’accélère : l’organisation du travail avec les demandes de flexibilité sur les temps de travail, les lieux de travail, le développement de compétences, le management, le recrutement. C’est intéressant, mais compliqué parce qu’il faut adapter sans cesse ses pratiques. Le métier de DRH est au cœur d’une révolution du monde du travail, c’est passionnant.

Avez-vous rencontré des collègues déroutés parce que les codes changent ?

Surtout durant la crise, car tout ce que l’on faisait était nouveau. Vous savez, en entreprise, la force se trouve dans le collectif… C’est la même chose pour le DRH… Il doit se créer un collectif de DRH à côté de son job. L’association l’ANDRH sert à cela. C’est pour cela que nous avons 70 groupes locaux à travers la France, les structures sont de taille humaine. Le fait de se trouver des bulles d’échanges de bonnes pratiques, cela permet de tenir. Ce que l’on nomme « les Ressources Humaines » renferment des métiers solitaires, mais le DRH ne doit pas être seul. Encore moins isolé. À ce sujet, je trouve qu’un des scénarios les plus dommageables pour le DRH est le suivant : lorsqu’une direction pense revenir «  au monde d’avant  » et que le DRH a l’intuition que les changements sont durables… Les responsables des ressources humaines le savent très bien, les candidats ne regardent même plus les offres d’emploi ne proposant pas de télétravail. Face à une pénurie de main-d’œuvre, à un le marché «  retournée  », si l’entreprise ne s’adapte pas aux nouvelles attentes, elle perdra son avantage concurrentiel et cela aura un impact sur son business. Le DRH est au cœur des évolutions du monde du travail, il est le fer de lance d’un changement tripartite : une autre manière de travailler, de manager et d’utiliser les espaces de travail.

Le dossier de couverture de « People at Work » est consacré au renouveau des formations professionnelles. L’attractivité de l’entreprise au sens global passera-t-elle par des formations plus « en prise » avec le terrain ?

Étant donnée «  l’accélération de tout  », aujourd’hui, la formation doit se mener tout au long de la vie. Et chacun doit apporter sa part, l’entreprise comme le salarié. Dans beaucoup d’entreprises matures, les formations proposées restent continuellement ouvertes, via des podcasts, des programmes courts, des articles et interviews, des formations coachées et le collaborateur prend ce qu’il souhaite. C’est une grande évolution. Chez Up, notre message est le suivant : nous investissons pour vous dans la formation, dans le cadre de notre « Academy Up », mais vous, collaborateur, vous avez la responsabilité de trouver le temps et l’énergie pour la réaliser. Les jeunes générations, qui savent bien qu’un parcours professionnel n’est plus aussi linéaire, ont aussi à cœur de choisir une entreprise qui sera capable de les former. Ils se disent aussi qu’ils resteront un temps donné dans une entreprise, qu’ils y «  upgraderont  » leurs compétences. Les compétences que l’on acquiert concernent du «  hard  », du métier, et du « soft », la confiance en soi, la prise de parole, l’autonomie, la gestion du temps… La formation a de plus en plus d’importance dans la « valeur » d’une entreprise pour le candidat, donc, la marque employeur.

Le cœur de métier du groupe Up, les solutions de paiement, sont cruellement d’actualité avec l’inflation. Les questions de l’utilité économique et sociale des moyens de paiement et celle du pouvoir d’achat des salariés : les DRH doivent-ils les prendre en compte ?

Travailler au sein du groupe Up donne encore plus de sens à mon travail de DRH. L’entreprise se tourne vers deux publics : les salariés et les citoyens. Sur les salariés, avec les titres repas, cadeau ou sport, cela nous permet de travailler avec nos entreprises clientes sur l’amélioration de la Qualité de Vie au Travail. Et du côté des citoyens, notre Groupe travaille avec les collectivités locales pour aider certaines 88 PORTRAIT À PROPOS DU GROUPE UP Up crée des solutions de paiement et des services à utilité sociale et locale qui donnent aux entreprises et aux collectivités les moyens d’agir pour améliorer le pouvoir d’achat et la qualité de vie des salariés et des citoyens. Ses marques sont le titre-restaurant Up Déjeuner, les titres cadeaux UpCadhoc, Up Chèque Lire ou Culture et UpCohésia . Le Groupe compte 2951 collaborateurs dans le monde et a réalisé un chiffre d’affaires de 566 millions d’euros en 2021. L’entreprise accélère sa transformation digitale notamment UpOne, une solution de gestion de plusieurs avantages aux salariés dans une seule « ap » de gestion pour l’entreprise et de paiement pour le salarié. Cela permet d’augmenter le pouvoir d’achat. Donc oui, contribuer à l’amélioration des conditions de travail ou de vie est passionnant.

La crise sanitaire a fait progresser les attentes des salariés en matière de bien-être au travail. Quelle est votre définition de la Qualité de Vie au travail. A-t-elle évolué depuis presque trois ans ?

Avant le Covid, la QVT se limitait à des initiatives isolées telles que des mises en place de conciergerie ou autres. Lors de la crise sanitaire, on a davantage géré les problématiques individuelles. Après le Covid, les DRH ont remis le curseur vers le collectif, mais avec des attentes de nos salariés qui ont changé. Au travail, désormais, on parle de santé physique, de santé mentale, d’alimentation, de sport. On peut même parler de violences conjugales… D’où l’émergence des « perks », ces avantages que peuvent proposer les entreprises. On a des avantages qui peuvent se concentrer sur le gain de temps et de confort, comme la conciergerie, des « perks » qui concernent l’équilibre pro et perso avec les horaires flexibles, le télétravail, la mobilité douce ; ceux liés au développement personnel, à l’accompagnement des salariés sur leur patrimoine, leurs démarches administratives ou juridiques. Il y aussi des «  perks  », où les entreprises proposent des budgets fertilité, en allouant des enveloppes aux salariés. Vous voyez, la QVT, c’est de plus en plus difficile à décrire. Le job du DRH est beaucoup plus large qu’avant, il est également impacté par la transition environnementale qui touche le quotidien. Et les entreprises doivent se mettre à niveau.

La question du sens, autrefois intime, se retrouve dans le domaine public du travail. Comment gère-t-on de tels concepts quand on est dans une fonction opérationnelle, comme DRH ?

Nous avons eu un certain nombre de situations individuelles de reconversion, de changement de région, parfois même de démission. Ce qui est mis en avant c’est la recherche de sens. Le business de l’entreprise doit aujourd’hui démontrer que son impact touche le salarié et cela doit faire écho aux valeurs de ce dernier. « Moi je vais te donner mon temps de travail et cela doit résonner avec mes valeurs ». C’est pour cela aussi que malgré les contraintes juridiques et le processus long, beaucoup d’entreprises ont le projet de devenir entreprises à mission. C’est le cas pour nous, chez Up. Pendant 58 ans, être coopérative suffisait à attirer les talents. Aujourd’hui, nous souhaitons proposer davantage.