Raison d’être, antichambre de l’entreprise à mission

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La « raison d’être » est tout sauf un slogan que l’on affiche sur son site Internet. Cela n’a rien du greenwashing, il s’agit d’un acte profond de sincérité. La raison d’être doit être une boussole fiable par temps incertain et surtout le socle fertile sur lequel la société à mission peut prospérer avec courage et authenticité.

Par Marina Rachline , fondatrice de l’agence Wave Makers, accompagnateur de la transformation positive des organisations

Selon les dernières annonces publiques, 55 % des entreprises du CAC 40 déclarent avoir une raison d’être. C’est le cas, par exemple, du groupe Carrefour[i] et du groupe Atos[ii].

Bien évidemment, les raisons d’être annoncées tiennent leurs promesses uniquement si celles-ci sont suivies d’actions concrètes. La raison d’être d’une entreprise se prouve par la mise en mouvement de ses engagements au quotidien, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’organisation. C’est l’objectif des entreprises les plus conscientes et les plus courageuses. Au-delà d’affirmer leur raison d’être, celles-ci ont choisi de devenir des « sociétés à mission » et ainsi d’améliorer notre société et notre environnement en mettant leur modèle économique au service d’un impact positif.

 

Actuellement, une seule entreprise cotée au CAC 40 s’est engagée dans ce sens : le groupe Danone (lire notre interview de Valérie Mazon p. XXX). Et celle-ci fait face à de nombreuses critiques depuis cette annonce. Pourtant, les analystes s’accordent à reconnaître que les entreprises qui ont le mieux résisté à la crise en 2020 sont les entreprises responsables. L’entreprise classique reçoit des pressions de toutes parts (ONG, clients, salariés et même actionnaires) et n’a plus d’autre choix que celui d’évoluer. Les consommateurs ont d’ailleurs bien compris qu’ils avaient souvent plus de pouvoir en « votant » avec leur carte bleue plutôt qu’avec leur bulletin de vote. Et ils savent ce qu’ils veulent : plus de la majorité des Français souhaitent que les entreprises prennent leurs responsabilités[iii] pour vivre dans un monde plus juste.

 

L’entreprise de demain sera responsable ou ne sera pas

Une nouvelle vague s’apprête déjà à déferler : la France compte aujourd’hui à peu près 100 sociétés à mission. Il y en aura 10 000 d’ici à dix ans. Pour obtenir ce statut, elles devront passer par quatre phases : tout d’abord, choisir une raison d’être et l’inscrire dans leurs statuts, définir ensuite une mission incluant des objectifs sociaux et environnementaux, préciser le plan d’action pour réussir cette mission et, enfin, le point décisif, faire appel à un organisme tiers indépendant pour vérifier que les actes sont à la hauteur des mots.

 

Alors une fois le cadre défini par la loi et la théorie maîtrisée, comment passer de la vision aux actes ? Les sociétés indépendantes ou familiales rencontreront sûrement moins de contraintes pour faire évoluer leur organisation. Par exemple, le Groupe Rocher a été l’un des premiers groupes internationaux à adopter le statut de société à mission. Avec pour raison d’être de « reconnecter les femmes et les hommes à la nature », il incarne sa mission en plantant des arbres avec ses parties prenantes. De plus, il n’a pas attendu les mesures coercitives prises par le gouvernement pour agir : arrêt des tests sur animaux dès 1988, soit quinze ans avant la législation française, et abolition des sacs plastiques en 2006, soit dix ans avant que la loi interdisant leur emploi n’entre en vigueur. Lors de son intervention au dernier Sustainable Paris Forum, son PDG, Bris Rocher, a encouragé les dirigeants à aller vers la société à mission et a rappelé, à juste titre, qu’il était nécessaire concrétiser la raison d’être « en passant du story telling au story doing ». Car, c’est bien de cela dont il s’agit : communiquer non pas sur ce qui va être fait, mais, bien sûr, ce qui a été fait concrètement.

 

L’entreprise à mission, un état d’esprit

Alors qu’en France un manager sur trois a déjà fait un burn out, les entreprises à mission proposent à leurs collaborateurs du sens, une « raison d’y être ».

Par exemple, l’entreprise française Veja réinvente la fabrication d’un produit que nous consommons tous : la basket. Chez eux, pas de stratégie RSE, l’écoresponsabilité est directement au cœur de tous les métiers. Cela se traduit par une culture de l’engagement qui alimente les rêves à atteindre ensemble, plutôt que les bilans carbone à réaliser seul dans son coin. Ensemble, les équipes de Veja se lancent régulièrement des challenges à relever pour se stimuler. Le dernier en date : créer la première basket de l’ère post-pétrole !

 

Le Groupe Rocher et Veja sont deux exemples d’entreprises en adéquation avec leur ADN et en résonance avec les attentes de leurs talents : l’authenticité et la responsabilité. Ces entreprises à mission ont compris que le capital humain était la force la plus précieuse à leur disposition pour accomplir leur mission.

 

À l’heure où nos modèles de société nous conduisent inéluctablement dans des impasses économiques, sociales et environnementales, les entreprises ont le devoir de faire converger valeurs, objectifs économiques et bien commun. Reste à déployer ce mouvement de l’impact positif et à définir un standard pour mesurer les retombées des actions promises afin que les entreprises soient à la hauteur des enjeux de notre époque.

[i] Raison d’être de Carrefour : « Notre mission est de proposer à nos clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessibles à tous à travers l’ensemble des canaux de distribution. Grâce à la compétence de nos collaborateurs, à une démarche responsable et pluriculturelle, à notre ancrage dans les territoires et à notre capacité d’adaptation aux modes de production et de consommation, nous avons pour ambition d’être leader de la transition alimentaire pour tous. »

[ii] Raison d’être d’Atos : « Avec nos compétences et nos services, nous supportons le développement de la connaissance, de l’éducation et de la recherche dans une approche pluriculturelle et contribuons au développement de l’excellence scientifique et technologique. »

[iii] 51 % des Français considèrent qu’une entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble, devant ses clients (34 %), ses collaborateurs (12 %) ou ses actionnaires (3 %). [Source : Ifop, agence Terre de Sienne, enquête « La valeur d’utilité associée à l’entreprise », 15 septembre 2016.]